Ah, la campagne ! Certains n’y voient que les plaisirs bucoliques : bon air, paysages calmes, odorants. Loin de la ville polluée, il est vrai que l’ensemble n’aurait pas manqué de charme s’il ne s’agissait pas d’une nuit estivale très, alors très, pluvieuse. Crispé derrière son volant, tentant de discerner les ornières boueuses dans le pinceau des phares de son 4/4 cabossé, le docteur se sentait… perdu. N’aurait-il pas dû prendre à gauche au croisement précédent ? Son Gps avait la fâcheuse habitude de l’emmener par des détours inimaginables juste pour le plaisir de lui faire gagner 100 mètres de parcours et là, il le gâtait. La ferme où il venait de se rendre pour une suture urgente était loin derrière lui à présent. Assez loin en principes pour se rapprocher de son point d’origine. Or, Martin se mit de plus en plus à penser qu’il se fourvoyait carrément. Si au moins la visibilité avait été meilleure ! Hélas, à moins de s’arrêter sur le bas-côté et attendre que la pluie cesse… autant rêver éveiller vu que la météo pourrie ne prédisait aucune amélioration avant deux jours.
Dans ce coin, pas de réseau à espérer non plus, histoire de prévenir de son retard. Bah, sa bonniche avait l’habitude.
Clac, clic, clac. Le mouvement rapide des essuie-glaces lui usait les nerfs. Dur de se concentrer sur la route quand tant de choses vous tournaient en tête. La rupture d’il y a six mois ne se digérait toujours pas. Il aurait dû tourner la page mais n’y parvenait pas. En plus, il était vanné. Quelle idée avait-il eue de plaquer l’hôpital pour se retrouver à errer dans la cambrousse à nulle heure du jour comme de la nuit ? Son vieux mentor Maxime avait besoin d’aide, lui de changement. Là, il était servi !
*Bon Dieu qu’est-ce que…*
À peine s’il l’avait entrevu mais il venait de heurter quelque chose. Bête réflexe de fatigue, il freina en donnant un coup de volant à l’opposé. Cela ne rata pas ; il dérapa. Le talus contre lequel pila la voiture le sauva du tonneau. Choqué, un peu étourdi, Martin resta collé sur son siège l’espace de quelques secondes avant de reprendre ses esprits. D’un geste, il attrapa son ciré et sa lampe torche puis fonça dehors. Il trouva la victime une vingtaine de mètres derrière lui.
*Eh merde !*
Pourquoi n’était-ce pas l’animal espéré ? Que foutait ce gars dans les champs à une heure pareille, vêtu d’un simple short ?
Précipité sur l’homme gisant sur le côté, Martin procéda immédiatement à une évaluation. Ouf, le gars vivait encore.
Monsieur, monsieur, vous m’entendez ? Non, ne bougez pas. Je viens de vous renverser. Comment vous sentez-vous ? Je suis médecin. Ne bougez pas, je reviens.
Une cavalcade aller-retour à la voiture plus tard, Martin examina mieux son « patient ».
Je crains une luxation de l'épaule et quelques côtes froissées mais pas de pneumothorax. La tête, ça va ? Suivez mon doigt.
La porte, s’agita le mec.
Pardon ? On est en plein champ, il n’y a pas de portes ici. Laissez-moi remettre cette épaule en place... i
Quelle heure est-il ?
Euh, j’en sais rien. 22h30, 23H ? Écoutez, ça va faire mal.
Un crac et un hurlement plus tard, Le bras du gars mis en écharpe, Martin dit:
On ne peut pas rester là. Je ne peux pas appeler d’ambulance, je dois vous emmener. Je rapproche la voiture.
La porte ! Aidez-moi ! Je dois la prendre…
Décidément, le gars en avait pris plus sur le crâne que supposé.
La seule que vous allez prendre est celle de cette bagnole. Ne bougez pas de cette couverture, j’arrive.
Dim 31 Jan - 17:34